D. Find a place inside where there's joy, and the joy will burn out the pain.

 Je grimace en me redressant. La patiente est installée, toujours inconsciente, sur le brancard. Darius me regarde comme s'il allait dire quelque chose puis détourne le regard, feignant de n'avoir rien vu. Au moins, je sais qu'il ne dira rien. rien de la douleur qui me vrille la colonne à chaque fois que je m'incline et me relève. Je ferme les yeux un instant avant de lui faire signe de prendre le volant. J'ai l'impression que monter dans cette ambulance sera insurmontable mais à la force des bras, je me propulse à l'arrière pour apporter d'autres soins à la jeune femme. Avant toute chose, j'engloutis un comprimé anti-douleur -le cinquième aujourd'hui- puis je vérifie ses constantes avec attention. Quand j'agis de la sorte, mes mouvements échappent à mon contrôle comme si chaque muscle connaissait exactement son job : rythme sinusal, respiration, tension... Tout s'enchaine avec une précision incroyable, qui pourrait dire qu'une seconde auparavant, j'avais peine à mettre un pied devant l'autre. Mon coéquipier démarre sirène hurlante à mon signal et je me contente de veiller notre "cliente" pendant qu'il roule droit vers l'hôpital. Par la fenêtre, j'aperçois la lueur solaire qui baisse, inondant la ville d'ombres dorées. Malgré tous les sombres souvenirs qui lui sont associés, j'ai toujours eu du mal à considérer Naples comme une ville horrible. Elle n'est certes pas un havre comme a pu l'être Addis-Abeba ou Bangui ou Kinshasa mais c'ets chez moi à présent. Et les choses ont changé, je ne suis plus un enfant terrifié ou un ado avec trop de poids sur les épaules. Je suis ici par choix. Enfin presque. Un pincement au coeur m'assaille et je chasse l'image d'Ambre de ma mémoire.

Arrivé à destination, on débarque notre passagère et Darius me bouscule l'air de rien pour prendre en charge la manœuvre. Je ne peux m'empêcher de lui sourire, reconnaissant. Je les laisse s'enfoncer dans les couloirs, détaillant la situation de la patiente aux médecins alors que je m'appuie sur le flanc de l'ambulance. Lentement, je reprend le contrôle de la douleur et de ma respiration qui s'était figée. Je pose ma paume contre la taule fraiche, les yeux mi-clos, remerciant tous les anges que mon service soit terminé. Je tourne la tête et sa silhouette se découpe dans le ciel qui s'est encore obscurci. "Ambre ?" Les souvenirs me reviennent en torrent accompagnés de mes mensonges. Ma voix est posée, murmure tranquille, aucun sentiment, aucune faiblesse ne la fait trembler. C'est un des avantages de l'ataraxie. Mon cerveau est parfaitement calme alors qu'il devrait être chamboulé. Cette fille, je l'aime. Mais parfois, aimer ne suffit pas. Pas vraiment. Je pense à la lettre de ma fiancée, à ce gamin qu'elle m'a caché. "Qu'est-ce qui peut bien t'amener en Italie ?" Je tente un sourire. "ça fait du bien de voir un visage familier dans le coin..."  

C'est étrange. Je veux dire elle, ici. Dans cet environnement. Pour moi, sa place est dans les chaleurs étouffantes de la jungle de Centre-Afrique au milieu de ses gorilles qu'elle aime tant. Entourée des gens qu'elle aime et qui l'aiment tellement en retour. La voir à Naples, dans cette ville qui représente tout sauf un lieu aimant pour moi, me donne presque la nausée. Pourquoi être venue ? Que fait-elle là ? Ici. C'est vrai, je suis parti sans vraiment lui dire au revoir, sans lui expliquer. On ne m'a pas laissé le choix. Le voyage en hélicoptère avait été un calvaire et la suite se perd dans un brouillard d’anesthésiants. Quand mon état s'est amélioré, j'ai reçu cette lettre à propos de ma soeur et à propos de mon fils et je n'ai pas réfléchis. J'ai laissé ma vie, mon paradis durement construit pour revenir en Europe. Je l'ai fait sans aucun sentiment, un peu comme si je le savais depuis le début. C'était inévitable. Mon bonheur ne pouvait pas durer. Avait-il seulement existé ?

Je la regardais calmement, sa silhouette, son parfum, ses yeux... Tout me ramenait là-bas. Mais je ne pouvais pas lui faire ça. Je ne devais pas l'enfermer avec moi dans cette impasse. Je l'aimais trop pour ça. Avec le temps, j'ai appris à faire avec le sacrifice. Lui dire de repartir d'où elle venait me brisait le coeur, même si je ne le montrerais jamais. J'en étais incapable. Mais au fond, son départ serait la disparition de mon dernier espoir. A ses mots, je tente un sourire. Avec elle, je parviens parfois à y croire. A combattre cette maladie que personne ne voit, que personne ne connait. Mais c'est si fugace, surtout ici dans les odeurs de moteurs, de sang et d'antiseptiques. Je fais un pas, l'attrape par la manche pour la serrer contre moi. Par moment, je me demande si elle éprouve la sensation d'enlacer un bloc de glace plutôt qu'un être humain. Je dépose un baiser dans ses cheveux. "J'apprécie vraiment ce que tu as fais pour moi. Par le passé comme aujourd'hui. Mais ta place n'est pas ici et tu le sais aussi bien que moi. Je le vois dans ton regard." Je ferme les yeux une seconde de plus avant de m'écarter d'elle.

Je laisse le stresse s'envoler lorsque je crois son regard. Il est là.. mais semble affreusement étonné de me voir ici. Pourquoi ? N'est-ce pas la suite logique ? Il pensait que j'allais le laisser partir et ne plus jamais lui donner de nouvelles, ou lui penser pouvoir le faire apparemment. J'ai peur de ne pas être finalement si importante pour lui.. il ne semble pas heureux de me voir.. peut-être qu'il aurait préféré ne plus avoir de nouvelle de moi.. qui me dit qu'il n'a pas une vie ici.. peut-être même une copine.. et moi je déboule et forcément ce n'est pas l'idéal.. pour lui en tout cas. Je reprend tout le stresse que j'ai.. parce que ce n'est pas l'accueil auquel je m'attendais. Je le voyais avancer heureux un sourire aux lèvres pour m'embrasser. Mais je sais que cela n'arrivera jamais.. Mon coeur se serre.. je perd totalement mon sourire. Pourtant il finit par me serrer contre lui.. mais je sens que ce n'est pas comme cela devrait-être. Je me décompose doucement, j'ai tout qui tombe.. notamment mon coeur en mille morceaux. Il embrasse mes cheveux.. et j'ai l'impression qu'il m'annonce que je dois plutôt partir. Je déglutis.. Il s'écarte de moi.. et je sens sans comprendre des larmes monter et couler sur mes joues. Je lui en veux.. j'étais prête à tout pour lui.. je n'ai personne ici.. pas les moyens de revenir.. et apparemment je ne suis plus celle qu'il aime.. pourquoi il ne l'a jamais dit ? Que je n'étais pas si importante ? Je renifle détournant les yeux de celui qui me fait souffrir. " Fallait le dire si je n'étais pas si importante.. Je.. je croyais que tu.. " Je déglutis regardant ailleurs.. " non je ne sais pas ce que je croyais. Tu m'as bien eu .. satisfait " ? " Je fais demi tour séchant mes larmes. Puis je me retourne juste pour savoir un truc. " J'espère que tu l'aimes et qu'elle te rendra heureuse.. " Parce que j'ai bien compris qu'il m'avait remplacé rapidement. " Je veux plus jamais entendre parler de toi. " Enfaîte je ne veux pas attendre cette réponse qui me tue déjà. Je ne veux plus le voir parce que le voir signifierait qu'il est heureux avec une autre.. j'ai du mal à croire qu'il me fait ça.. qu'il n'est jamais été sincère et moi qui pleure pour un type comme ça.. je me suis faîte avoir.. je lui ai tout donné.. je suis totalement anéantie.. je suis partie pour lui.. j'ai tout changé.. je me suis engagée pour un boulot.. je n'ai pas tout l'argent qu'il faut pour repartir encore.. je me retrouve bloquée ici.. alors que je meurs d'envie de rentrer finalement.. mais rentrer.. je sais que cela sera douloureux.. j'aurais tous nos souvenirs.. et je ne suis pas sûre d'être assez forte pour arriver à l'oublier comme ça..