tell me the story of your life.« Kaihra arrête, arrête de pleurer. » Elle releva sa tête vers son frère, les joues rougies par les larmes qui ne cessaient de couler. Elle ne pouvait pas arrêter, elle ne voulait pas. Comment pouvait-elle oublier que son père venait de les abandonner lâchement, sans la moindre explication ? Depuis toute petite, elle avait cru qu’il serait toujours là pour elle. Et jusqu’à ce jour, c’est ce qu’il avait fait. Pourtant ces derniers temps, il paraissait plus distant. Il rentrait plus tard chez eux, il s’occupait moins d’elle, mais elle s’était dit que c’était juste passager, qu’il avait sans doute beaucoup de boulot en ce moment. Et puis il était parti. Parti pendant que sa femme était au travail et ses gosses au lycée. Il avait disparu, prit toutes ses affaires sans laisser de trace. Alors non, Kaihra ne pouvait pas s’arrêter de pleurer car jamais elle n’aurait cru qu’il pouvait leur faire une chose pareille.
« Pourquoi il a fait ça hein ? Je le déteste Milo, je le déteste. » Les larmes coulèrent de plus belle. Ses yeux lui piquaient. La respiration commençait à devenir difficile. Bientôt, elle s’abandonna dans les bras de son frère. Il était le seul homme de la maison maintenant. Il allait devoir s’occuper d’elle et de sa mère, il allait devoir être fort pour toutes les deux.
« Tu sais c’est quoi le pire ? C’est que c’est pas vrai, je le déteste pas, j’arrivera jamais à le détester. Je l’aime putain je l’aime. C’était papa quoi. » Il la serra encore plus fort. Elle se sentait protégée dans ses bras, elle se sentait bien, elle avait envie d’y rester des heures. Son frère, elle avait toujours dit que c’était le seul qui pouvait vraiment la comprendre, le seul qui pouvait la consoler.
« Je suis là moi, je serai toujours là. » Et sans lui, jamais elle n’aurait pu surmonter tout ça.
« Milo m’a dit que t’adorais ça avant. » Ils s’étaient rencontrés il y a quelques mois à peine et pourtant, elle avait l’impression de le connaitre depuis toujours. Tout paraissait simple avec lui, même le bonheur semblait être à porter de main. Il suffisait qu’elle l’embrasse pour se sentir revivre. Que ses doigts effleurent sa peau pour qu’elle oublie ses complexes. Elle n’avait jamais connu l’amour avant lui, jamais cru que ce genre de sensations existait vraiment ; elle croyait que tout ça, ça n’arrivait que dans les livres. Et puis elle le rencontra. Matteo.
« C’est mignon, mais j’ai déjà mangé. » Mensonge. Depuis la veille au soir, elle n’avait en fait rien avalé. Après le départ de son père Kaihra était tombée dans une sorte de dépression légère, disons qu’elle ne mangeait pratiquement plus. Elle disait qu’elle n’avait plus faim. Son ventre n’acceptait plus rien ou en tout cas, plus grand-chose. Alors elle avait perdu dix kilos. Ni plus, ni moins mais assez pour qu’elle commence à détester son corps, assez pour que les garçons du lycée se moque d’elle.
« T’as le regard qui fuit quand tu mens, et un sourire en coin que t’essaye de cacher sans y parvenir. J’te connais par cœur tu sais. » Un bisou sur la joue plus tard, il lui déposa le plat juste devant elle et s’assit à ses côtés.
« Ouvre la bouche. » Une fourchette pleine de pâte dans la main, il l’apporta jusque la bouche de la jeune femme qui ne put s’empêcher de rire. Elle avait l’impression d’être une enfant à qu’il fallait apprendre à manger. A cet instant précis, il fallait en fait le lui réapprendre.
« Alors ? » Alors qu’il allait redéposer la fourchette à côté de l’assiette elle arrêta son geste et avala une nouvelle bouchée.
« Hmm, j’aime presque autant que je t’aime toi. » Et c’était à son tour de l’embrasser. A son tour d’être heureuse. D’une nouvelle fois gouter aux saveurs de la vie. Recommencer à manger, c’était le début d’une victoire. Le début de sa victoire ou plutôt de la leur car sans lui, rien n’aurait été possible.
« Nous deux, ça fonctionne pas. » Cette seule phrase avait été comme un poignard planté dans son cœur. Ça lui avait fait mal, affreusement mal. Et pour l’une des premières fois durant leur relation entière, elle s’était mise à hurler. Elle était devenue folle, elle avait perdu pied. Elle l’avait giflé parce qu’elle avait envie qu’il souffre autant qu’elle mais c’était idiot : la douleur d’une gifle ne durait qu’une demi seconde. Elle, elle allait avoir mal pendant des années. Elle le savait parce qu’elle n’arrivait jamais à oublier quelqu’un qu’elle avait aimé. Et le fait est qu’elle n’avait jamais aimé quelqu’un comme elle aimait Matteo. Pour elle, c’était l’homme de sa vie. Son premier amour, sa première fois, son premier tout. Elle n’avait envie de personne d’autre que lui. Alors elle avait mal, mal que ça se termine, mal que tous leurs projets s’envolent. Soudainement, elle se sentit comme une coquille vide. Et finalement, c’est le premier homme de sa vie, son frère, qui lui rendit le sourire.
« Tu peux pas savoir combien je rêve que tu rencontres quelqu’un d’autre, Kaihra. » Le regard de son frère était accusateur. Il avait toujours détesté qu’on touche à sa sœur. Pourtant, quand Matteo lui avait redonné gout à la vie, il n’avait pas pu s’empêcher de l’apprécier et d’être heureux pour elle. Mais depuis qu’ils s’étaient séparés il n’arrivait tout simplement pas à accepter qu’elle continue de le voir et de se laisser faire comme elle le faisait. Mais elle, elle ne pouvait pas faire autrement. Ca faisait deux ans maintenant qu’ils n’étaient plus ensemble. C’était long deux ans, c’était même le double de leur histoire. Ce n’est pas qu’elle l’aimait encore autant qu’avant, au bout de deux ans, les sentiments devenaient forcément moins forts. Mais dans son cœur, il aura toujours une place particulièrement. Et puis elle savait qu’elle ressentait encore quelque chose pour lui, quelque chose de trop fort pour être simplement de l’amitié. Et puis elle aimait quand il couchait ensemble. Quand elle lui donnait son corps, elle avait l’impression de reprendre leur histoire. C’était pas juste du sexe, c’était de l’amour qu’elle lui donnait dans ces moment-là. Mais lui, il ne s’en rendait sans doute même pas compte. Alors elle se taisait parce que c’était sans doute la meilleure solution, et elle profitait de ce qu’il lui donnait en attendant d’avoir mieux ou en attendant qu’un autre homme la rende heureuse.